CE QUE FUT UN AVOCAT DU DÉBUT DU 20ème siècle

Son parcours

ses créations : Le Guide du Palais

La publication de plaidoiries

Grand observateur des premiers jours de la débacle de 1940 de Paris à Houlgate

ses décorations & distinctions :

- Légion d'honneur chevalier
- Légion d'honneur Officier
- Mérite social - Maire Adjoint du 15ème Arrondissement chevalier
- Mérite touristique
- Instruction Publique Officier (Professeur Ecole Breguet)
- Mérite agricole Chevalier
- Etoile d'Anjouan, Grand Officier
- Nichan Ifthikar Commandeur
- Ordre Royal du Cambodge Chevalier
- Nichan el Anjouan Commandeur
- Ordre Royal du Dannebrog chevalier (à titre militaire)
- Polonia Restituta (à titre militaire)
- Médailles Commémoratives guerre 14/18 agrafe engagé volontaire
- Guerre 1939/45 agrafe engagé volontaire
- Insigne de la section du chiffre Résistance

La Vie Judiciaire : Hommage à Maitre Henry Millié 1879-1954
CE QUE FUT UN AVOCAT DU DÉBUT DU 20ème SIÈCLE

 

CE QUE FUT UN AVOCAT DU DÉBUT DU 20ème SIÈCLE

             Maître  Henry, Louis, Alexandre  M i l l i é

PAQUES !... Henry Millié s’élançait à la rencontre du printemps, sur la route de cette Normandie qui lui était chère...

Voici le vieux Moulin d’Houlgate aux  ailes repliées, devant lequel il accueillait, l’été dernier, ses confrères sportifs en vacances provisoires... Et le maître du logis, bonnet couché sur l’oreille, foulard à pois noué au col, veste ample et bien entendu avec ses sabots : petit, replet, matois,  bonhomme, n’est-ce pas Henry Millié lui-même, ouvrant sa porte au centre d’une haie de fleurs ?

Il n’est plus des nôtres...

De son enfance itinérante, au gré des postes successifs occupés par son père, de Gap à Valence en passant par Nice, Aix-en-Provence, Cannes, Montpellier, Auxerre, il a gardé le goût des déplacements. Il lui doit aussi une certaine indépendance, car il échappe à la férule d’une discipline scolaire sans diversités.

Interrogés sur ses rêves d’avenir, il déclarera qu’un sont doubles : il veut être automobiliste, et être avocat. Automobiliste, il le deviendra dès 18 ans en passant examen, et recevant « certificat de capacité pour la conduite des voitures à pétrole ". Avocat, il le sera en 1904, lorsqu’il prêtera serment à Paris, et entrera au cabinet de Lucien Blin, avant de devenir le collaborateur de Michel Gondinet.

Entre ses deux vocations, ne disons pas d’ailleurs qu’il a partagé sa vie; car l’une et l’autre se sont fondues dans l’exercice même de sa profession.

Sa première plaidoirie ? ou plus exactement sa plaidoirie qui, la première, contribuera à. sa notoriété ?... Ouvrons la revue des Grands Procès contemporains, audience du 11 juillet 1912 sous le titre « le client le chauffeur et le taximètre »... L’intérêt du procès est de vingt centimes : quatre sous... Un voyageur grincheux et revendicatif, qui par surcroît s’appelle Pochon, refuse de payer 0,95 fr. une course -qui lui coûte quotidiennement 0,75 f r... Question de principe, affirme son avocat: il s’agit de savoir « si nous sommes livrés sans défense a toutes les fantaisies du compteur horokilométrique et tailla a merci par le wattman qui connaît toutes les ressources de cet instrument ?::: » Question de fait, répond Henry Millié, qui plaide évidemment pour le chauffeur: la voiture a dû marquer un arrêt a l’injonction d’un agent, et le compteur qui tourné débite, outre le prix du parcours que l’on franchit, le prix du temps qui passe... Le tribunal — qui se souvient de M. Bourouillon, son président — tranche dans le vif, c’est-à- dire qu’il compose entre les deux thèses et fixe à 0,85 fr. le montant de la course. Mais comme l’instance s’est greffée sur une procédure d’offres, celles-ci sont déclarées insuffisantes et M. Pochon perd son procès.

De ce jour, la compagnie des Autoplaces. victorieuse, demeurera la clientèle la plus fidèle d’Henry Millié. Les taxis rouges les G. 7. Tous les chauffeurs qui les pilotent connaissent le nom de leur avocat

Henry Millié croyait en l’automobile, désormais l’automobile croit en lui et devient son inséparable.

De proche en proche, il plaidera pour elle à Paris et dans les provinces. Il connaîtra tous les carrés des rues dans les villes, tous les embranchements des routes nationales, toutes les croisées des chemins dans les campagnes. Il devient maitre es arts de définir l’axe médian, le droit de priorité, le calcul de la vitesse, le point d’impact, la violence du cube. Il promène avec des fortunes diverses, devant tous les tribunaux et toutes les cours, une jurisprudence sans cesse enrichie de ses succès ou de ses déconvenues.

A exercer ainsi pendant quarante ans sa profession, un autre se reposerait sur ses avantages, sans tendance à se renouveler. henry Millié, lui, innove et se perfectionne toujours. Expliquons qu’il émaille son discours d’anecdotes sans cesse inédites : à l’occasion du procès qu’il plaide, il ne dédaigne pas de raconter l’expérience qu’il a acquise au précédent dernier en date. Et ainsi de suite.

Nul adversaire n’est d’ailleurs plus courtois, plus aimable, plus communicatif que lui, au sens de la régularité dans la communication des pièces.

Chacun de ses contradicteurs  et  il eut en face de lui, à  la barre, presque tous les avocats de France et de Navarre  est devenu son ami.

Il est vrai qu’Henry Millié a toujours nia manifesté pour ses confrères un intérêt affectueux, traduit sous les formes les plus diverses.

A leur usage, il compose en 1908 et réédite en 1911, sous la préface de deux bâtonnier, un « Guide du Palais » que l’on imagine distribué par le secrétariat de l’Ordre aux stagiaires de première année venus prêter serment devant la première chambre -de la Cour et in de retrouver la porte du vestiaire. Ouvrage charmant qui débute par une série de « plans » et de « planches »  dus aux dessins de l’auteur, sciemment inexacts et volontairement incomplets. « Je n’ai pas la prétention d’être un topographe, ni un architecte... et j’ai négligé certains détails parfaitement Inutiles, comme la Cour des femmes, dans laquelle les avocats n’ont jamais à pénétrer... » Le dernier chapitre est consacré aux « petites chapelles, du palais littéraire au palais cuisine, dont rien n’est oublié, fût-ce le montant des cotisations qui donnent droit à leur accès.

Le guide ne comporte qu’une omission : celle de l’Automobile-Club du Palais, dont Henry Millié sera naturellement le fondateur, mais en 1929 seulement.

Il est alors en pleine activité de réalisations  professionnelles ou autres : magistrat suppléant au tribunal de simple police de Paris, où il ne se réveille pas toujours l’ennemi des contraventions, membre du Cercle d’Etudes professionnelles et Ou Comité judiciaire de les vice-président une l'Association des juges de paix suppléants, président du Patronage de l’enfance et de l’adolescence, maire adjoint du 15ème arrondissement de Paris où il habite depuis cinquante ans...

En 1945, Henry Millié vient d’être élu membre du Conseil de l’Ordre. Il en avait pour le désir sans hâte, avec persévérance : car il ignorait la brigue et ne voulait obtenir la préférence de ses confrères que de leur estime et leur a Il est l’ainé, par l’an au tableau, sinon par l’âge, de tous ceux qui siègent dans la grande salle. Alors, suivant une tradition qui a sa noblesse, il a place le premier â la droite du bâtonnier, et ses collègues le désignent « Monsieur le Doyen ». Il ne ca cachait pas d’être flatté du rang et du titre.

Vite, il devait jouer un rôle important dans les délibérations. Il usait du bon sens et de la finesse d esprit comme de deux talismans pour épuiser les discussions et vider les divergences. On ne résistait pas aux admonestations de sa sagesse, non plus qu’à la contagion de son sourire.

- Ses interventions ne manquaient pas d’ail leurs d’originalité lorsqu’il était lui-même rap porteur, et certains de ses exposés sont ‘restés dans les mémoires. Déformation professionnelle ? Les heurts légers ou les chocs violents entre avocats et clients, les collisions entre confrères sont-ils autre chose que les incidents quotidiens de la « circulation judiciaire »

Henry Millié, pour les décrire et les régler, recourait volontiers au style et à la syntaxe des procès-verbaux sur lesquels il avait si sou vent plaidé. Il y ajoutait un vocabulaire imprévu qu’il avait si souvent plaidé. Il y ajoutait un vocabulaire imprévu qu’il avait emprunté aux répertoires de procédure des « vieux coutumiers ». Le tout était, dans une note personnelle, d’une saveur inégalable. Comment, avec cela, paraître sévère, et préparer le Conseil a une sévérité plus rigoureuse que la sienne ?

 

Travailleur infatigable de jour et même de nuit. Son bâtonnier peut en donner le témoignage, et rappeler cette soirée mémorable où telles dispositions furent prises pour éviter, à  l’aube du lendemain, la prise de corps de quelques confrères, impliqués dans des malentendus ou compromis par des imprudences. Henry Millié sut prouver ce jour là qu’il n’était pas seulement habile, mais courageux.

Même dans la fierté et l’allégresse d’avoir été porté aux honneurs, Henry Millié était demeuré semblable à lui-même.

Dans le « civil », on le reconnaissait à cette courtoisie invariable, d’une sobre élégance, qui l’avait revêtu naguère d’une jaquette, puis d’un veston noir sur le pantalon rayé gris... Et sur tout son éternelle cravate de piqué blanc ! Détail vestimentaire qui devait entrer dans l’histoire lorsqu’à l’imitation du patron, l’un de ses jeunes collaborateurs, du nom de Pierre Laval, décida un jour d’adopter, pour ne jamais s’en séparer lui non plus, cette fameuse cravate blanche!

Chez Henry Millié, même âme et même cœur aussi, tout au long d’une existence harmonieuse, sans aspérités. Un bel équilibre dans la pensée et dans le propos, et une parfaite bienveillance. Jamais de calomnies, jamais de médisance. S’il savait décrire les ridicules d’autrui, c’était pour en faire rire sans méchanceté, ni trivialité, et le sel de son ironie n’a jamais eu d’amertume.

C’est qu’il était, au vrai, foncièrement loyal et bon. Est-ce assez de dire qu’il était bon ? Le mot « charitable », ici, vient aux lèvres mais nous avons reçu consigne de silence.

Le destin lui a dispensé beaucoup de joies, qu’il a goûtées comme il devait, parce qu’elles étaient simples et probes. Une grande douleur aussi l’a frappé en 1929, son fils lui a été ravi, qui était son orgueil, et qu’il avait conduit au stage.

L’épreuve a trahi ses espérances ; elle a pu faire vaciller sa foi, mais elle n’a pas réussi à tarir en lui les sources de la générosité. Alors il s’est repris, et il a continué de vivre pour les autres plus que pour lui-même.

Jusqu’au jour où il a fait à son tour l’apprentissage de la souffrance : préparatoire à l’oubli parmi les hommes, mais à la présence éternelle devant un autre Dieu, cet inconnu... Sa mort fut discrète. Il y a quelques semaines, le lendemain du jour de Noël Comme il l’avait voulu, ses obsèques furent célébrées parmi ses intimes, car il avait proscrit l’abondance des afflictions officielles.

La tristesse de l’avoir perdu devrait être réservée à ceux-là, seuls, qui l’ont vraiment aimé.

Il fut, vers ce temps promu officier de la Légion d’honneur.

 

Bâtonnier Marcel POIGNARD.

Site dédié à Henry Millié et édité par Dominique Millié son neveu   www.publimmedia.fr

publimmedia © 1997-2024